Le metteur en scène est une figure centrale de la création artistique, dont le statut juridique diffère selon les phases de travail dans lesquelles il évolue. Lorsqu’il imagine et conçoit la mise en scène il se situe dans le champ de la création intellectuelle. Lorsqu’il réalise l’exécution matérielle de sa conception artistique il se situe dans celui du salariat. Cette fiche apporte les éclairages juridiques nécessaires pour distinguer et appréhender ses différents statuts.
Le metteur en scène, un artiste auteur pour la conception de sa mise en scène
1. La mise en scène reconnue comme une œuvre de l’esprit
Bien que la mise en scène ne fasse pas partie des œuvres listées par le Code de la propriété intellectuelle, il est communément admis par la jurisprudence qu’elle est une œuvre de l’esprit, dès lors qu’elle répond aux deux critères suivants :
– originalité, c’est-à-dire qu’elle porte l’empreinte de la personnalité du metteur en scène. Il a par exemple été jugé que la mise en scène bénéficie de la protection de la loi dès lors que, tout en respectant les didascalies et intentions de l’auteur, le metteur en scène « fait œuvre originale dans les instructions qu’il donne, notamment sur la composition de divers tableaux, la nature des décors, le choix et l’emplacement des accessoires, et également sur l’entrée, la sortie et le comportement des interprètes, ainsi que sur le ton et le rythme des parles qu’ils ont à prononcer » (Cour d’appel de Paris, 8 juillet 1971). En revanche, la mise en scène n’est pas considérée comme originale et n’est donc pas protégée par le droit d’auteur lorsque le metteur en scène reste prisonnier des indications des auteurs du spectacle (Cour d’appel de Paris, 5 février 1958) ;
– formalisation, ce qui signifie qu’elle doit être perceptible par les sens. Ainsi, une idée ou un projet de mise en scène n’a pas le caractère d’œuvre de l’esprit.
2. Les droits d’auteur du metteur en scène
Le caractère d’œuvre de l’esprit de la mise en scène confère au metteur en scène un statut d’auteur lui permettant de bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur (1) . Le droit d’auteur est composé de droits patrimoniaux et de droits moraux.
Les droits patrimoniaux. Les droits patrimoniaux confèrent au metteur en scène un monopole d’exploitation qui lui permet d’être le seul à pouvoir décider des modalités de communication de sa mise en scène au public.
Ils regroupent (article L122-1 du Code de la propriété intellectuelle) :
– le droit de représentation qui consiste en la communication de l’œuvre au public, soit de manière directe par exemple par récitation publique, représentation dramatique, soit de manière indirecte par télédiffusion ;
– le droit de reproduction qui consiste dans la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte (par exemple, par le biais de la photographie ou de la captation).
Toute représentation ou reproduction de la mise en scène nécessite l’accord préalable de son auteur (cf. infra 3).
Les droits moraux. En tant qu’auteur, le metteur en scène dispose également de droits moraux. Ces droits sont composés notamment (article L121-1 du Code de la propriété intellectuelle) :
– du droit au nom et à la paternité : il s’agit du droit pour le metteur en scène de faire reconnaître que la mise en scène est de lui et d’exiger par exemple que son nom figure sur l’œuvre de spectacle ou y soit directement associé.
– du droit au respect de l’œuvre : ce droit protège à la fois l’intégrité et l’esprit de la mise en scène. Cela signifie que l’auteur peut s’opposer à sa dénaturation, tant dans la forme que dans l’esprit (Cour d’Appel de Paris, 28 juillet 1932).
Remarque : en vertu du droit moral, le metteur en scène doit également veiller à ne pas porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre qu’il adapte à la scène. A titre d’exemple, les tribunaux ont pu considérer à plusieurs reprises qu’une mise en scène qui modifiait profondément la fin de l’histoire voulue par l’auteur constituait une atteinte à son droit moral (TGI de Paris 27 novembre 1985, TGI de Paris 15 octobre 1992, Cour d’Appel de Paris, 13 octobre 2015).
3. L’accord du metteur en scène pour l’exploitation de son œuvre
La loi exige que la communication d’une œuvre de l’esprit fasse l’objet d’un contrat (article L131-2 du Code de la propriété intellectuelle). Cet accord préalable s’impose dans tous les cas, que l’œuvre soit utilisée à des fins commerciales ou non. Ainsi, un entrepreneur de spectacles ne pourra exploiter une mise en scène que si l’auteur lui en donne l’autorisation expresse.
L’article L131-3 du Code de la propriété intellectuelle impose que ce contrat suive un formalisme bien précis. Les droits cédés doivent en effet être limitativement énumérés. Les parties doivent préciser dans le contrat le domaine de la cession c’est-à-dire :
– l’étendue des droits cédés ;
– la destination ;
– le territoire d’exploitation ;
– la durée.
4. La rémunération du metteur en scène pour l’exploitation de sa mise en scène
Lorsque le metteur en scène cède ses droits pour l’exploitation de la mise en scène, il perçoit une rémunération appelée droits d’auteurs qui doit être proportionnelle aux recettes liées à l’exploitation du spectacle (les recettes sont le plus souvent le prix de vente du spectacle ou les recettes générées par la billetterie).
La loi ne fixe pas les pourcentages de rémunération, cela relève donc de la libre négociation entre le metteur en scène et la structure qui souhaite exploiter l’œuvre (le metteur en scène peut d’ailleurs autoriser l’exploitation de son œuvre sans contrepartie financière ; dans ce cas, la mention de la gratuité devra être clairement indiquée dans le contrat).
Toutefois, le taux de rémunération ne peut être inférieur à 2% :
– si le metteur en scène réalise sa mise en scène dans le cadre d’un contrat de travail conclu avec un entrepreneur de spectacles relevant de l’annexe 1 de la convention du secteur privé du spectacle vivant ;
– ou si la mise en scène a été déclarée (2) à la SACD.
5. Aspects sociaux des droits d’auteur
Les droits d’auteur versés au metteur en scène pour l’exploitation de sa mise en scène doivent être déclarés auprès de la sécurité sociale des artistes auteurs, représentée par l’Agessa pour la branche des auteurs d’œuvres dramatiques.
Les droits d’auteur sont soumis à des taux de cotisations spécifiques. Il appartient en général à l’exploitant de la mise en scène, ou à la SACD si l’œuvre est déclarée, de prélever pour le compte du metteur en scène les cotisations sociales obligatoires sur le montant des droits d’auteur et de les reverser à l’Agessa.
Pour plus d’informations sur le régime social des droits d’auteur : www.secu-artistes-auteurs.fr
Le metteur en scène, un artiste du spectacle salarié pour l’exécution matérielle de sa conception artistique
1. Le metteur en scène, un artiste du spectacle présumé salarié
L’article L7121-2 du Code du travail précise que le metteur en scène est un artiste du spectacle dans le cadre de l’exécution matérielle de sa conception artistique. L’exécution matérielle correspond à la phase de travail où le metteur en scène prépare, coordonne et dirige le travail des artistes et de tous les intervenants créatifs, artistiques et techniques.
En tant qu’artiste du spectacle, le metteur en scène est soumis à la présomption de salariat posée par l’article L7121-3 du Code du travail qui prévoit que « « Tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce ».
Ainsi, pendant les phases de répétitions et de représentations (si sa présence est requise), le metteur en scène doit être embauché par le biais d’un contrat de travail.
A noter : en pratique, la présomption de salariat empêche de verser exclusivement des droits d’auteur au metteur en scène sous peine de voir la rémunération intégralement requalifiée en salaire par les organismes sociaux.
2. Contrat de travail
Le metteur en scène est le plus souvent embauché par le biais d’un contrat à durée déterminée d’usage, dont le contenu doit être conforme aux dispositions prévues par la convention collective appliquée par l’employeur (convention collective des entreprises artistiques et culturelles ou convention collective des entreprises du secteur privé du spectacle vivant).
A noter : le metteur en scène relève du statut « Cadre », il bénéficie dès lors de l’ensemble des dispositions conventionnelles prévues pour cette catégorie de salariés.
3. Rémunération
Dans le cadre de la convention des entreprises artistiques et culturelles. La grille des salaires relative au personnel artistique ne prévoit pas de rémunération spécifique. Toutefois, le statut cadre du metteur en scène laisserait supposer que sa rémunération doit être au moins égale, voire supérieure à la rémunération prévue pour les artistes dramatiques. Le metteur en scène peut être mensualisé ou bénéficier d’une rémunération au cachet/service.
Dans le cadre de la convention collective des entreprises du secteur privé du spectacle vivant. Les employeurs relevant de l’annexe 1 doivent se conformer à l’avenant du 10 novembre 2016 qui complète le titre VI « Metteur en scène de théâtre ». L’avenant prévoit les modalités de rémunération suivantes :
Le metteur en scène perçoit un salaire à partir du premier jour de répétition de l’œuvre, et jusqu’à la première représentation publique. Pour chacune de ces répétitions la rémunération est fixée sur la base du Smic horaire multiplié par le nombre d’heures de la répétition, sachant qu’une répétition est considérée comme ayant duré au minimum deux heures.
Dans le cas où le montage du spectacle nécessiterait moins de 30 répétitions, le producteur garantit au metteur en scène un salaire correspondant à 30 répétitions de 4 heures, soit 120 heures rémunérées sur la base du Smic. Toutefois, cette garantie ne s’applique pas s’il s’agit du montage d’un spectacle de courte durée (moins d’une heure), de lectures, ou de la reprise d’un spectacle déjà monté.
Dans le cas de la reprise d’un spectacle nécessitant l’intervention du metteur en scène, si le nombre de répétitions est inférieur à 5, celui-ci a la garantie de percevoir un salaire « égal à 20 heures rémunérées sur la base du Smic, soit 5 services de 4 heures de répétition » (article 6.6).
En revanche, aucune précision n’est apportée sur la rémunération du metteur en scène pendant les représentations alors même que sa présence est obligatoire, notamment au début de l’exploitation du spectacle.
4. Régime d’assurance chômage
Le metteur en scène étant reconnu comme un artiste du spectacle pour l’exécution matérielle de sa conception artistique, les heures de travail effectuées dans ce cadre-là sont déclarées au titre de l’annexe 10 de la convention d’assurance chômage.
5. Cotisations sociales
Taux réduits. Les cotisations patronales et salariales de sécurité sociale des artistes du spectacle, et donc des metteurs en scène, sont calculées en appliquant un taux réduit, à hauteur de 70 % des taux de droit commun. Sont concernées par l’application de ces taux réduits, les cotisations maladie, maternité, invalidité, décès, vieillesse, accidents du travail, allocations familiales, Fnal et versement transport.
L’abattement pour frais professionnels s’applique-t-il au metteur en scène ? Certaines professions artistiques bénéficient, en matière sociale, d’une déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels, appelée communément abattement pour frais professionnels. Cet abattement permet de calculer certaines cotisations patronales et salariales sur le salaire brut, diminué de 25% ou 20%. Les professions ouvrant droit à une déduction forfaitaire spécifique dans le secteur culturel sont les suivantes (art. 6 de l’arrêté du 25 juillet 2005 modifiant l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale) :
– artistes dramatiques, lyriques, cinématographiques ou chorégraphiques : 25% ;
– artistes musiciens, choristes, chefs d’orchestre et régisseurs de théâtre : 20%.
Il s’agit d’une liste strictement limitative. Les metteurs en scène n’étant pas visés, ils ne peuvent prétendre à l’application de la déduction forfaitaire spécifique.
Notes :
(1) Il convient de préciser que cette protection est inhérente à la création de l’œuvre sans qu’aucune formalité de déclaration ou de dépôt ne s’impose (article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle).
(2) Attention à ne pas confondre la déclaration avec le dépôt : la déclaration permet à la SACD de suivre la vie de l’œuvre et de percevoir les droits liés à ses différentes exploitations. Le dépôt auprès de la SACD est une formalité qui permet d’apporter un début de preuve en cas de contentieux sur la paternité de l’œuvre.
Cette fiche a été rédigée par Fanny Schweich, juriste. Elle rejoint en 2010 le service juridique du Centre national du Théâtre puis de Artcena, où elle acquiert une expertise en droit de la production et de la diffusion de spectacles vivants. En 2017, elle crée For companieS, une structure dédiée à l’information juridique des professionnels du spectacle vivant.