Promesse de campagne du candidat Macron, le Pass Culture est entré dans sa phase de test en septembre 2018 dans 5 départements. Il devrait être généralisé à l’ensemble du territoire en 2019. Destiné notamment aux jeunes de 18 ans, il a pour ambition d’inciter à découvrir des lieux et des pratiques culturels de proximité. Mais alors que la phase d’expérimentation est lancée, de nombreuses interrogations demeurent.
Portail culturel géolocalisé et monétisé
Annoncé comme une révolution par la ministre de la Culture, Françoise Nyssen en décembre 2017, le Pass Culture est une application géolocalisée pour mobile, téléchargeable par tous et référençant des propositions culturelles réparties en trois catégories par le Ministère : sorties (théâtre, exposition, concert…) et biens culturels (livres, musiques, jeux video…) et pratiques artistiques (cours de chant, de danse, etc.).
Mais le Pass Culturel est aussi une « plateforme culturelle monétisée ». En effet, elle prévoit, à terme, un crédit de 500€ pour tous les jeunes de 18 ans afin de leur permettre de s’ouvrir à diverses pratiques culturelles. Expérimenté auprès de 10 000 jeunes dans cinq départements – le Bas-Rhin, la Guyane, l’Hérault, la Seine-Saint-Denis et le Finistère (département ajouté en juin dernier) – le Pass Culture sera, dans cette phase de test, doté d’une valeur de 250 euros.
Inspiré du Bonus Cultura de Matteo Renzi, l’ex-président du Conseil italien, le Pass Culture ne souhaite pas être victime des mêmes travers du pass italien, qui a pu être revendu au marché noir et servir à l’achat de livres scolaires. L’idée étant de favoriser l’accès à la culture des jeunes, la ministre avait précisé sur Europe 1, en mars dernier, que le Pass Culture n’était pas « un chèque ou un ticket de consommation ». « L’application peut être téléchargée par n’importe qui, qu’il ait 18 ans ou non. Il ne disposera évidemment pas du crédit de 500 euros, mais aura l’information sur ce qui se passe dans sa région », avait réaffirmé Françoise Nyssen au quotidien l’Alsace, en mai dernier. Le Pass Culture est également doté d’un aspect réseau social dans la mesure où il permet de constituer des groupes pour des visites.
Toutefois, derrière ce projet d’envergure qui se veut révolutionner l’approche culturelle des jeunes notamment, de nombreuses interrogations subsistent…
Le financement, d’abord
A raison de 500 euros par jeune de 18 ans, soit 850 000 jeunes environ, le budget du Pass Culture devrait s’élever à 425 millions d’euros par an, en moyenne. Si 5 millions d’euros ont été inscrits au budget en 2018, ils sont évidemment loin d’être suffisants… Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait évoqué l’idée de mettre à contribution les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft). Mais cette possibilité n’a pas été évoquée depuis. Alors, qui va payer ?
En juin dernier, le Monde annonçait un financement conjoint de l’Etat (20%) et du secteur privé (80%) au travers de rabais ou de gratuités négociés avec les partenaires culturels mais aussi un partenariat possible avec les banques. « La gratuité est essentielle à l’équilibre économique du Pass », indique le document remis aux membres du comité d’orientation. « Elle ne sera pas mise en avant auprès des utilisateurs de l’application – le Pass affichera les tarifs grand public – afin de garantir la visibilité des acteurs locaux et d’éviter les effets d’aubaine ou d’avantage concurrentiel. »
Miser sur la gratuité et les rabais n’est-ce pas le risque de favoriser les mastodontes et de fragiliser la visibilité des structures indépendantes ? Par ailleurs, qu’en est-il du secteur des livres, soumis à la loi Lang ?
Quelle place pour le spectacle vivant ?
Puisqu’il s’agit de coller au plus près des envies des jeunes – d’ailleurs, la création de Pass Culture est passée par la consultation de jeunes – les propositions référencées incluent non seulement le théâtre, les cours de guitare mais aussi les jeux vidéos ou encore la musique en ligne. Le crédit de 500 euros pourra-t-il être entièrement dépensé pour des jeux vidéo ou un abonnement à une plate-forme de streaming ?
Face à ces questions qui, évidemment, ont été soulevées par les structures indépendantes, la ministre a affirmé souhaité définir des « plafonds de dépenses pour certaines catégories d’offres numériques »afin d’éviter que le crédit de 500 euros ne soit entièrement englobé par des abonnements à Netflix, Deezer ou Spotify. Toutefois, nous ne savons pas encore quels seront ces plafonds.
En revanche, il est d’ores et déjà acquis qu’il n’y aura pas de plafond pour la pratique culturelle. Il sera donc possible d’utiliser la totalité de son crédit pour un cours de danse par exemple.
Vous avez dit « géolocalisation » ?
Selon le ministère, « l’objectif numéro un » de cette application est d’« encourager à la découverte et la diversification des activités culturelles ». L’application est donc dotée d’un algorithme géolocalisé permettant de mettre en avant les offres du secteur public et « des petits acteurs indépendants » (librairies, associations, etc.) de proximité. Si cela part d’un bon sentiment, une question se soulève toutefois : comment sortir les jeunes de ce qu’ils connaissent déjà tout en restant dans un secteur proche ? Evidemment, la géolocalisation permettra d’élargir son périmètre d’habitudes. Mais alors, puisque bien souvent l’accessibilité est un point qui fait défaut à la découverte artistique, comment s’y rendre ?
Au-delà de la proximité, se pose la question des choix éditoriaux et artistiques : qui décide et sur quels critères ?
Quid des pass locaux ?
Il existe, de part et d’autre du territoire, des initiatives locales mises en place par des collectivités. C‘est le cas, par exemple, de l’e-Pass Jeunes, lancé par la région PACA (57 000 inscrits sur 267 000 potentiels bénéficiaires, avec une dotation de 60 euros financée par la région). Comment articuler ces pass locaux et le pass national ? Les uns vont-ils disparaitre de fait ? La mutualisation de ces deux types de pass est loin d’être définie…
La question de l’accès à la culture
Cette question de fond, à laquelle le Pass Culture est censé y répondre, subsiste malgré le dispositif. En effet, l’accès aux œuvres est une chose, leur compréhension en est une autre. Ce qui creuse le fossé n’est pas tant l’accessibilité matérielle – bien que réelle – que l’éducation artistique et culturelle. Prenons l’exemple italien : si 60% des jeunes s’en sont emparés, seul 1% l’aurait utilisé pour l’achat de places de théâtre ou de danse… Selon le directeur de la Comédie de Saint-Etienne, Arnaud Meunier, « on ne conçoit pas une offre culturelle à partir d’un algorithme et de la géolocalisation. » (lire le site Cultureveille).
Alors, véritable révolution le Pass Culture ? Il est encore trop tôt pour se prononcer. A suivre de très près. Le portail http://pass.culture.fr permet d’ores et déjà aux jeunes de 18 ans des 5 départements pilotes de s’inscrire pour faire partie des 10.000 premiers utilisateurs du Pass Culture. Et les professionnels proposant des activités culturelles sont encouragés à faire figurer leur programmation dans l’appli.