Lors de la création d’un nouveau spectacle, qu’il s’agisse de danse, de théâtre, d’opéra ou autre, de nouveaux décors et costumes naissent. Les compagnies les stockent le temps de l’exploitation du spectacle. Mais au bout d’un certain moment, elles sont contraintes de s’en séparer, souvent pour des raisons de coût de stockage… Détruire ou jeter ? Heureusement depuis quelques années, d’autres alternatives sont possibles.
Au début, on stocke…
Bien souvent, la création d’un nouveau spectacle s’accompagne de la création d’un ou plusieurs nouveaux décors et costumes. Financés en général par le producteur, leur durée de vie est égale à celle du spectacle. Toutefois quand considérer la vie d’un décor comme étant terminée ? En effet, il est possible qu’un spectacle soit en « sommeil » quelques mois, voire quelques années, avant d’être repris… La solution semble être alors le stockage. Oui, mais combien de temps ? Et à quel coût ?
Il s’agit là d’une vraie question. Car, à l’exigence d’espace s’ajoute la qualité des conditions de stockage (sécurité, sec, de plain-pied, assuré contre le vol, etc…) puisqu’aux décors et costumes s’ajoutent des accessoires et du matériel divers. Pour les petites structures, les solutions de stockage sont bien souvent des solutions de dépannage, qui, par définition, ne peuvent être pérennes. Dans l’idéal, et pour une plus grande efficience, il faut que ce lieu de stockage soit facilement accessible (proche des bureaux de la compagnie et/ou des voies de circulation, sans escalier, mais aussi à toute heure…), sécurisé et spacieux. La perle rare se trouve évidemment et notamment grâce aux solutions de garde-meubles. Mais cela a un coût qui s’ajoute aux coûts de création des décors et costumes.
…mais à un moment, il faut s’en séparer
Quelle que soit la solution de stockage, la décision de se séparer d’un décor intervient tôt ou tard. Cette décision peut être choisie, c’est le cas lorsque l’on est certain que le décor ne sera plus réutilisé. Mais elle peut être aussi subie. En effet, c’est le cas lorsque les coûts de stockage deviennent trop lourds à supporter ou lorsque le lieu arrive en fin de bail. D’ailleurs, on voit parfois passer des annonces de cession de décor… Et en l’absence de repreneurs, on se résout à jeter décors, costumes et accessoires… « L’an dernier, témoigne Blasco Ruiz, co-directeur de l’association ArtStock, la Comédie Française et le Théâtre du Vieux Colombier ont dû vider entièrement leur lieu de stockage partagé. »
Donner une seconde vie aux décors et costumes
Et si, plutôt que de réduire à néant le fruit d’un travail de création, on permettait aux décors, costumes et accessoires de vivre une seconde vie ? La démarche, vertueuse, sert aussi bien l’idée de développement durable que celle de soutenir les petites compagnies. En effet, le besoin est réel : nombre de compagnies n’ont pas les moyens de faire appel à un atelier de construction.
« J’ai travaillé comme technicien pour différentes structures et notamment d’importants festivals, témoigne Blasco Ruiz. Lors de la dernière, on était amené à jeter les décors. Or, il n’était pas rare qu’à ce moment, des directeurs de théâtre ou d’autres structures viennent nous voir pour demander à récupérer tel ou tel élément. » Fort de ce constat, des professionnels et techniciens du spectacle ont créé Artstock en 2009. L’association, qui emploie aujourd’hui une dizaine de salariés, récupère les décors et costumes prêts à être jetés, les dé-structure et propose les matériaux aux petites compagnies.
Et chacun s’y retrouve : « Faire venir une entreprise pour se débarrasser des décors a un coût, note Blasco Ruiz. Nous essayons d’être sur ces mêmes prix mais nous proposons en plus de donner une seconde vie à ces objets et matériaux. Par respect pour la création, nous nous engageons à ne jamais réutiliser un décor tel quel. Nous permettons le réemploi des parties de ce décor, ce qui bénéficie aux structures qui n’ont pas les moyens d’acheter des matériaux neufs et des créations. »
Matériauthèque, Ressourcerie…
Sur le site de l’association Artstock, chacun peut consulter la matériauthèque, autrement dit le catalogue en ligne. « Les éléments répertoriés ne sont pas exhaustifs mais cela permet d’avoir une idée de ce dont nous disposons. » Artstock compte deux lieux de stockage : l’un de 800 m2 en région parisienne et l’autre de 2 500 m2 dans la banlieue de Toulouse. Pour que le modèle économique de l’association soit viable, les matériaux récupérés sont vendus mais le coût est vraiment moindre. « Nos clients, principalement des petites compagnies, ont un budget compris entre 100 et 3 000€. On peut alors soit vendre les matériaux, soit construire, pour eux et avec eux, un petit décor. »
Scénographe, Clarisse Delile fait appel à Artstock pour créer des décors : « J’ai connu l’association il y a deux ans lorsque j’ai travaillé pour une compagnie qui avait peu de moyens. Ils m’ont alors fait un devis pour les matériaux d’une part, et pour la construction du décor d’autre part. » Clarisse souligne la nécessité de s’adapter : « Il faut s’adapter à du matériel déjà utilisé, le faire correspondre à l’idée que l’on avait en tête… Pour la prochaine scénographie, je vais faire le chemin inverse de création, c’est-à-dire que je vais d’abord trouver les matériaux puis penser la scénographie. »
Cette idée a fait des émules un peu partout en France. Ainsi La Belle Déchette, association née en 2015 à Rennes, propose de récupérer des objets du quotidien et du mobilier pour les particuliers, mais aussi des décors et costumes pour les acteurs et compagnies du secteur. Après deux résidences, l’une à l’Hôtel Pasteur, l’autre aux Ateliers du Vent, La Belle Déchette a déjà conclu deux partenariats : l’Opéra de Rennes et la Direction Générale de la Culture de Rennes Métropole. « Nous récupérons les décors et costumes de l’Opéra de Rennes pour 1€ symbolique, précise Julie Orhant, l’une des co-fondatrices de l’association. Nous récupérons également des décors et costumes d’autres compagnies. Nous les réemployons dans ce que nous appelons la Ressourcerie, et les proposons à des prix très bas. Le partenariat établi avec la DG Culture s’avère très satisfaisant pour 3 raisons : Premièrement puisqu’il s’inscrit dans une prise de conscience institutionnelle sur l’urgence de favoriser l’éco-responsabilité contre le gaspillage. Deuxièmement, cette coopération répond à des besoins économiques des professionnels des Arts. Enfin, c’est aussi une manière innovante de soutenir concrètement les acteurs culturels. »
A côté de ces services de réemploi, l’association rennaise se fait fort de mener également une action de sensibilisation auprès des compagnies : quel sera l’usage de tel costume ? Tel décor peut-il être pérennisé ?
Une prise de conscience durable
Cop21, Objectifs du Développement Durable 2015-2030 de l’ONU… Depuis quelques années, la question du développement durable est devenue une affaire politique. Avec la Stratégie nationale du Développement durable (SNDD) 2010-2013, puis la Stratégie nationale de Transition écologique vers un Développement durable (SNTEDD) 2015-2020, la France s’est dotée d’un cadre pour chaque domaine. La stratégie ministérielle de développement durable du ministère de la communication et de la Culture précisait notamment la volonté de « Poursuivre et renforcer le tri et la gestion des déchets, encourager le recyclage et la réutilisation. Au-delà du tri et de la gestion des déchets, le Ministère a instauré une logique de recyclage et de réutilisation pour les fournitures et équipements courants mais aussi ceux liés aux métiers spécifiques de la culture : recyclage du papier, du matériel d’exposition, des scénographies… »
Jeter les décors et costumes n’est plus une fatalité. Des associations existent aujourd’hui pour leur donner une seconde vie et permettre ainsi à d’autres structures du spectacle vivant d’en profiter !
Photo : (c) Cie Castafiore / Clarisse Delile. « Violette », spectacle de la Compagnie Casta-Fiore à la Passerelle de St Etienne