Décret sur les niveaux sonores : est-il applicable ?
Le 7 août 2017 est paru un nouveau décret portant sur la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés. Applicable au plus tard le 1er octobre 2018, il concerne tous les lieux diffusant des sons amplifiés qu’ils soient clos ou ouverts – salles de concert, festivals, discothèques… – et vise principalement à protéger l’audition du public. Toutefois, l’association AGI-SON soulève quelques questions notamment sur la faisabilité de son application. Vous êtes producteur, diffuseur, exploitant de lieux ? Coulisses fait le point sur les impacts de cette nouvelle règlementation sur votre activité.
Que contient ce décret ?
Le décret paru au JO le 7 août 2017 vise « à protéger l’audition du public des établissements diffusant régulièrement de la musique amplifiée et à préserver la santé du voisinage ». Jugeant la réglementation actuelle insuffisamment protectrice, le nouveau décret élargit ainsi le champ d’application aux lieux ouverts tels que les festivals mais aussi aux cinémas, salle de meeting, écoles de musique… Il abaisse également les niveaux sonores et introduit une limite pour les basses fréquences :
– La limitation passe de 105 dB(A) à 102dB(A) sur 15mn (*)
– Le niveau des basses fréquences est limité : 118 dB(C) sur 15 mn
– Une limitation spécifique est fixée pour les spectacles jeune public (jusqu’à 6 ans révolus) : 94 dB(A) et 104 dB(C).
Le décret précise un certain nombre de points supplémentaires :
– l’enregistrement en continu des niveaux de dB(A) et de dB(C) – avec conservation de ces enregistrements pendant 6 mois – et affichage continu de ces niveaux à la console. Notez que les lieux de moins de 300 places sont exempts de cette obligation.
– l’obligation d’informer les publics sur les risques auditifs ;
– la mise à disposition du public des protections auditives gratuites ;
– la création de zones de repos auditif ou l’aménagement de périodes de repos auditif.
– l’étude d’impact des nuisances sonores (EINS) est obligatoire ainsi que la mise à jour en cas de modification des aménagements des locaux, de modifications des activités, ou du système de sonorisation.
– les lieux clos, ne doivent pas dépasser les valeurs limites de l’émergence spectrale de 3 décibels (125 à 4000 hertz), ni même un dépassement de l’émergence globale de 3 dB(A).
Qui est concerné ?
Tous les espaces ouverts aux publics ou accueillants des publics, clos ou ouverts, diffusant des sons amplifiés ou du « bruit » sont visés par ce décret. Ainsi, salles de concerts, discothèques, mais aussi restaurants, festivals, cinémas, écoles de musique, salles de meeting…
Le respect de l’ensemble des points cités par le décret est de la co-responsabilité à la fois de l’exploitant du lieu, du producteur et du diffuseur. Le non-respect de la réglementation entraînera une contravention de la 5e classe, soit 1 500€ au plus, pouvant être portée à 3 000€ en cas de récidive.
Un décret qui fait débat
L’association AGI-SON, née en 2000 de la volonté des professionnels de défendre l’écoute et la pratique de la musique dans le respect des réglementations en vigueur, soulève des questions quant à la mise en application du décret. « Les interrogations portent à la fois sur la faisabilité technique et sur l’essence même de la création artistique« , note Angélique Duchemin,coordinatrice nationale d’AGI-SON.
« Nous avons été surpris du texte qui a été publié, indique Angélique Duchemin. Il ne s’agit pas de la version dont nous avions discuté au sein du Conseil National du Bruit (CNB). Certains points relèvent de l’incohérence et de l’infaisabilité. » C’est le cas des écoles de musique par exemple pour lesquelles il avait été demandé de pouvoir ne pas respecter les niveaux sonores afin de permettre aux élèves d’apprendre véritablement mais, en revanche, de mener des campagnes de sensibilisation auprès des élèves. « Le décret propose l’inverse : une limite des niveaux sonores et l’absence d’obligation de sensibilisation. »
Difficultés techniques et artistiques
Concernant l’aspect technique, « les méthodes de mesures sont trop complexes, les acousticiens eux-mêmes ne sont pas d’accord !« . En l’état, le décret demande en effet de déployer énormément de matériels de mesure. Au-delà du coût que seules les structures qui ont des moyens financiers pourront assumer, il faut préciser que « les matériels de mesures et d’enregistrements qui pourront permettre l’application des normes demandées, n’existent pas à ce jour. Les sociétés qui vendent ce type de matériel n’en sont qu’à la conception ; ces matériels ne seront donc pas disponibles pour le 1er octobre 2018. » Viennent ensuite les questions de formation des personnels.
Concernant la question de la création artistique, Angélique Duchemin porte notamment l’attention sur la limitation des basses fréquences, « ADN de certaines esthétiques telles que le reggae, le dub ou encore les musiques électroniques« . A cela, s’ajoute la question des petits lieux, bien souvent « lieux d’émergence artistique« . « Dans ces lieux, précise Angélique Duchemin, le son est rarement amplifié du fait de la taille de l’espace. Or, certains instruments sont très sonores. Je pense à la batterie mais aussi à la bombarde par exemple. Comment fait-on dans ce cas ? On demande aux artistes de jouer moins fort ? On éloigne le public de la scène ? Cela est difficilement réalisable. »
Un Tour de France des pratiques
Afin de mener des discussions productives et d’être en mesure de faire des propositions cohérentes et dans le respect de la réglementation, AGI-SON mène depuis deux ans “des mesures sonores dans les festivals et les lieux clos” ainsi que des rencontres avec les professionnels de l’ensemble du territoire et a mis en place des groupes de travail. « Ces informations permettent d’alimenter les discussions au sein du Conseil National du Bruit. Le but est de réfléchir à la manière dont on peut faire évoluer les choses pour être dans les attentes des instances décisionnelles. Nous souhaitons influer sur l’écriture du texte dans le bon sens, souligne Angélique Duchemin. Nous travaillons aussi dans l’intérêt des publics et ne souhaitons pas un surcroît de risques. D’ailleurs, nous travaillons activement à la sensibilisation des publics : l’oreille n’a pas de paupière, nous devons la protéger. »
Des délais nécessaires
Outre les aspects techniques évoqués, qui nécessitent un temps supplémentaire (création des instruments de mesure, formation…), Angélique Duchemin informe que Christophe Bouillon, président du Conseil National du Bruit, a « autosaisi le Conseil National du Bruit pour rendre un avis sur l’arrêté« .
Parallèlement, « nous travaillons à faire des propositions pour trouver des solutions et rendre applicable le décret« . Un exemple de proposition? « Concernant la mesure des basses fréquences, il est impossible de la faire sans une armada de techniques : à 10 cm de distance, la mesure ne sera pas la même. Nous proposons donc que le niveau soit à respecter uniquement à la console. » Le CNB rendra son avis en juin. Et AGI-SON testera les protocoles auprès de ses adhérents.
Il faut savoir également que la Chambre des cabarets et des discothèques a émis un recours et que ce dernier est encore en cours de traitement au sein du Conseil d’Etat. La situation est donc en « stand by ».
(*) Le décibel (dB) est l’unité dans laquelle sont généralement exprimés les niveaux sonores. Il existe différentes sortes de décibels, notamment les dB(A) et dB(C) qui permettent de mesurer, non pas l’intensité sonore réelle, mais l’intensité sonore telle qu’elle sera perçue par une oreille humaine moyenne…