L’année 2015 a clairement marqué un tournant, avec la mise en place du paiement « cashless » dans plusieurs festivals importants, comme les Vieilles Charrues, les Trans Musicales, ou encore le Hellfest. Le 21 janvier dernier, une table ronde réunissait aux BIS2016 des organisateurs et des prestataires pour un premier bilan.
Alors, le cashless, est-ce simple à mettre en place ? Quels sont les enjeux, les risques, les bénéfices ? Nous étions sur place pour recueillir ces retours d’expériences du terrain.
« Le cashless, ça fait longtemps que ça existe »
En aparté, Eddie Aubin, président du cluster MyOpenTickets – qui organisait cette table ronde, animée par Philippe Renaudin et Mathias Millard – nous rappelle que le cashless, autrement dit le fait de permettre aux spectateurs d’effectuer une transaction d’achat (par exemple, boire un verre au bar) sans argent ni carte bancaire existe depuis de nombreuses années. Le système historique consistait en l’utilisation d’un système de jetons (ou « tokens ») servant de monnaie d’échange. La grande nouveauté de ces dernières années est l’émergence des solutions technologiques (cartes et bracelets équipés de puces RFID ou NFC) qui permettent une transaction totalement immatérielle : le festivalier pré-charge son compte cashless en ligne avant l’événement, récupère son bracelet cashless à l’entrée du festival puis paye ses achats d’un simple geste en approchant son bracelet d’un terminal sans contact.
« On a été guidé par l’envie de simplifier »
C’est par cette phrase qu’Emilie Lacroix, directrice de la communication, résume la motivation principale des Trans Musicales pour passer au cashless. L’objectif premier : faciliter la vie du festivalier, mais aussi le travail de l’équipe.
Yvan Le Bras, chargé des relations aux publics, détaille le fonctionnement mis en place aux Trans Musicales : « Nous souhaitions que les festivaliers aient la possibilité de recharger leur bracelet sur place. C’est pourquoi nous avons mis en place 7 ‘banques’ permettant de recharger son compte cashless sur les lieux du festivals »
Il précise qu’au-delà des équipements – bracelets, terminaux – et du recours aux services d’un prestataire, un tel projet implique des investissements importants : « nous avons construit une dizaine de cabanons sur mesure et embauché 30 salariés pour gérer ces ‘banques’ ». Sans oublier la formation : « Un temps important a été notamment consacré à la formation des équipes, notamment celle des barmans »
Isabelle Chevallier, responsable développement Europe d’Intellitix, reconnaît qu’un tel changement nécessite « beaucoup de formation et de préparation » avant de conclure « quand on va au cashless, on ne fait pas machine arrière ».
Au-delà du bénéfice d’organisation, quel retour sur investissement ? Pour cette première année, l’enjeu économique était déjà « de ne pas perdre d’argent » explique l’équipe des Trans Musicales. Un premier bilan chiffré ? « 17.000 bracelets cashless ont été utilisés cette année. Avec un final, une augmentation de 10% des recettes ‘bar’ qui a couvert nos investissements. Une belle opération blanche ».
Isabelle Chevallier affirme : « 100% de nos clients ont vu leur chiffre d’affaire augmenter ». Pierre-Henri Deballon, CEO de Weezevent est plus nuancé : « on n’a jamais exactement les mêmes têtes d’affiches, la même programmation, la même météo…Donc c’est difficile de comparer des choses pas forcément comparables ».
« Le cashless, pas à n’importe quelles conditions »
Emilie Lacroix indique qu’aux Trans Musicales, la décision a fait l’objet de longues discussions en interne. L’équipe s’est finalement mise d’accord sur un certain nombre de conditions à respecter, notamment la gratuité totale du système pour le festivalier, la transparence ou encore le fait que le système devait faciliter le parcours du festivalier et améliorer les conditions de travail de l’équipe.
Yvan Le Bras détaille : « Nous avons vraiment mis les moyens pour accompagner les festivaliers et leur faciliter la vie. En un sens, on leur impose un mode de fonctionnement, donc il serait inadmissible qu’ils doivent faire la queue pendant 45 minutes pour recharger leur bracelet. ».
Il insiste également sur l’importance de bien communiquer en amont – les Trans ont notamment fait une vidéo explicative sur le site. Et conseille d’éviter de mettre en place une solution hybride où puisse payer soit par cash, soit en cashless car « cela sèmerait le doute et la confusion ».
Jean-Pierre Blanc, d’AGP Systèmes, insiste sur la question de la sécurité et conseille de faire très attention aux choix des puces RFID ou NFC utilisées : « leur prix va de 25 centimes à 2 euros. S’il y a un tel facteur, c’est qu’il y a des différences ». Il enjoint l’assistance à faire attention aux puces dites « compatibles » avant de conclure, très en verve : « Année 1, l’année du bonheur ; année 2, l’année du hacking ». Pour un peu, on aurait envie de revenir au bon vieux token !
Pierre-Henri Deballon insiste également sur la diminution des risques : « Le cashless, c’est surtout moins d’argent physique sur place, donc moins de risques. Les Vieilles Charrues ont employé,pendant des années, vingt personnes de la Brinks »
Une question corollaire est celle de la confidentialité des données, toutes les transactions effectuées par un festivalier pouvant potentiellement être tracées. Pierre-Henri Deballon indique que “la donnée intéressante, c’est la donnée globale. Qui plus est, le traitement des données individuelles est réglementé par la CNIL”.
Isabelle Chevallier précise : “Vous pouvez rester anonyme : vous n’êtes pas obligé d’associer un bracelet à votre compte”. Mais dans ce cas, comme relève très justement Jean-Pierre Blanc : “si vous voulez être anonyme, vous n’aurez pas accès à tous les services”. Notamment, il sera plus difficile pour un festivalier de se faire rembourser ou de faire opposition.
« Il n’y a pas un cashless, mais des cashless »
Cette table ronde a été l’occasion pour les différents prestataires présents d’exprimer leurs visions des enjeux du cashless, chacun mettant l’accent sur les points qui leur semblaient importants.
Pour Pierre-Henri Deballon, CEO de Weezevent, il “faut marier cashless et billetterie pour offrir au festivalier une expérience utilisateur fluide”. Autrement dit, avec le même bracelet, un festival peut passer le contrôle d’accès et faire des achats. Selon lui, les bracelets cashless constituent également “une opportunité pour développer des nouveaux partenariats avec des marques”, ce qui permettrait au passage aux organisateurs de diversifier leurs sources de financements.
Jean-Rémi Kouchakji, fondateur de PayinTech, préfère mettre l’accent sur la question des flux monétaires, qui devraient d’après lui être totalement gérés par les banques, tandis que les prestataires de cashless devraient se concentrer sur les couches applicatives et les services sur le terrain. Il insiste sur le caractère obligatoire de passer par une banque ou un partenaire financier agrémenté pour faire la compensation, notamment dans le cas où des prestataires de catering sont accueillis au sein d’un festival.
Sur ce sujet, Jean-Pierre Blanc précise qu’il trouve intéressant de mettre en place une couche intermédiaire – comme le propose par exemple Be2Bill – afin de pouvoir choisir de rediriger tel ou tel flux (billetterie, boissons…) vers telle ou telle banque.
L’équipe des Trans Musicales en profite pour insister sur le fait que beaucoup de choix sont laissés à l’organisateur, notamment le coût éventuel ou la gratuité du bracelet, la capacité du festivalier à être remboursé intégralement.
Ce qui permet à Jean-Pierre Blanc de trouver un mot de conclusion qui met tout le monde d’accord : “il n’y a pas un cashless, mais des cashless”.
Au final, une table ronde passionnante, avec un seul petit bémol : le fait de n’avoir eu qu’un seul festival représenté, face à cinq prestataires. Espérons qu’à l’avenir, nous aurons l’occasion d’entendre encore plus de retours d’expériences d’organisateurs.