Introduire le marketing dans la relation entre une création artistique et un public revient-il à assimiler la production de spectacles à des biens marchands ? Si le terme de marketing est associé à la vente de biens et de services, ses applications pratiques et outils peuvent néanmoins être pertinents dans la stratégie de développement d’un lieu de spectacles. Comment tirer profit des techniques marketing pour favoriser la notoriété d’un lieu de diffusion? Quelles pratiques sont à même de favoriser le rayonnement d’une salle de spectacles ?
Ancienne responsable de la communication du Théâtre du Rond-Point et directrice du développement de l’Avant Seine / Théâtre de Colombes, Anne Le Gall est consultante et présidente du TMNlab / laboratoire Théâtres & Médiations Numériques qu’elle a confondé en 2013. Association à but non lucratif, le TMNlab est une communauté de professionnel·les qui s’interrogent sur l’évolution des pratiques liées au numérique dans les champs de la communication, de la médiation, des relations avec les publics et plus largement dans la transformation des institutions.
Thématique régulièrement abordée depuis la création du réseau, notamment en avril 2019 lors de la Rencontre TMNlab #16 au Théâtre National de l’Opéra Comique, le marketing et son appropriation par les salles de spectacles est plus que jamais d’actualité. Anne Le Gall apporte son éclairage sur cette question, souvent discutée au sein du réseau.
Un marketing appliqué aux lieux culturels ?
La diffusion des créations artistiques peut-elle se soustraire de l’adaptation aux attentes du public ? La création en elle-même n’implique pas de réponse à un besoin. Cependant, la présentation de l’oeuvre peut difficilement exister hors d’un contexte favorable au public. Le point de rencontre entre les techniques issues du marketing et le spectacle vivant se situe alors au moment de la diffusion. Capter l’attention des spectateurs, spectatrices et des professionnel·es, mettre en avant un projet en l’inscrivant dans son contexte de diffusion, peut être pour une salle de spectacle, l’endroit du marketing.
Considéré comme un ensemble de techniques à même de booster la diffusion des spectacles, le marketing a donc toute sa place dans le champ culturel. Pour Anne Le Gall, « si les techniques marketing servent à vendre et à faire la promotion de produits et services, c’est avant tout en affinant au maximum la connaissance des usagers. Le marketing est une remise au centre de l’usager ». La première étape dans la mise en place d’une stratégie marketing est effectivement la connaissance des publics. Connaître le public, c’est s’intéresser à ses motivations et ses freins pour venir voir un spectacle, mais aussi à son expérience globale : conditions d’accueil, politique tarifaire, réalité ressentie…
Le marketing n’est pas une nouveauté dans le secteur de la diffusion artistique. Certaines esthétiques se le sont déjà appropriées dans la diffusion des œuvres. “Dans les musiques actuelles et les grands musées, la question marketing est intégrée” indique Anne Legall, “dans les salles de théâtre, cela a commencé récemment avec quelques pionniers comme L’Opéra de Paris ou le Théâtre du Châtelet.”
Quels sont alors les freins à l’utilisation du marketing ? D’après les nombreux échanges lors des rencontres du TMNlab, les freins sont parfois idéologiques. “Lorsque l’on parle de marketing, il y a cette idée que le marketing va venir détruire quelque chose de la relation humaine, de l’artistique, plutôt que de le voir comme une boîte à outils ou un état d’esprit centré sur l’utilisateur. Pourtant la question de l’intégration des publics et la fine connaissance des oeuvres est primordiale pour la construction des actions” poursuit Anne Le Gall.
Relation avec les publics à la billetterie, prolongement d’actions en partenariat avec d’autres structures culturelles ou montage de projets avec les habitants, les outils issus du marketing peuvent servir de support dans des contextes variés. Sa mise en oeuvre opérationnelle a des conséquences sur l’organisation des ressources humaines des salles de spectacles. “Le marketing est souvent associé à la communication ou parfois à la billetterie, alors qu’à mon sens, cela se joue aussi au niveau de la médiation avec les publics et même, potentiellement, dans la définition du projet” note Anne Le Gall.
En pratique : intégrer une dimension marketing
La mise en place d’une stratégie marketing peut se décliner vers plusieurs objectifs, par exemples :
- augmenter la notoriété de la salle auprès d’un public éloigné géographiquement
- faire venir un public peu habitué à l’esthétique des spectacles proposés
- soutenir la vente de billets, fidéliser les spectateurs et spectatrices
- faire la promotion d’actions avec les habitants
- mettre en lumière un partenariat
- soutenir la diffusion des spectacles co-produits
- appuyer la notoriété d’artistes locaux émergents
L’étape préalable à l’atteinte de ces objectifs est donc, comme pour toute action de communication, la connaissance de la cible à atteindre. Une étude externalisée, réalisée sous couvert d’une méthodologie experte, est un moyen d’avoir une vision au plus proche de la réalité. “Faire réaliser une étude des publics – et des nons publics – à une échelle importante sur son territoire d’implantation est un travail fondateur pour un lieux culturel. Se baser sur une technique scientifique, c’est un vrai apport dans notre travail. Cela permet de structurer une politique des publics cohérente en prenant appui sur des chiffres, qui vient compléter et parfois de façon surprenante contredire l’empirisme. Cela permet aussi d’avoir un état zéro et donc une base pour l’évaluation de la politique des publics” précise Anne Le Gall, qui indique également que sans étude, des actions à plus petite échelle sont réalisables, afin d’orienter certaines prises de décisions.
Au quotidien, “une bonne organisation de la logistique des données en interne peut permettre de garder traces des échanges avec les spectateurs. Des petites enquêtes, des échanges avec le public sont un moyen de recueillir des informations et d’adapter nos pratiques. Utiliser des outils marketing en relations publiques et en médiation, c’est très riche” précise-t-elle. Refonte des supports de communication, amélioration des modes d’accès, mode d’ouverture du lieu à un public qui ne le fréquente pas… la collecte de “données”, grâce à des enquêtes, des focus group ou d’autres pratiques, est un levier d’adaptation de l’offre aux contextes de vies des spectateurs et spectatrices.
Mais ensuite, comment utiliser ces données ? “Le recueil des informations de la billetterie et des enquêtes ne peuvent pas se suffire à elles-mêmes. Sans stratégie et sans vision en interne, ça n’a pas de sens”, ajoute Anne Le Gall. Établir un plan stratégique à l’échelle globale d’un lieu est en effet une façon d’orienter la collecte de ces informations en fonction des résultats attendus.
Au travers des échanges entre professionnel·les lors des rencontres du TMNlab, il ressort que l’appropriation du marketing porte surtout sur le e-marketing. Il est principalement impulsée par les salarié·es en communication voire en billetterie : “certaines pratiques commencent à se développer. Plusieurs lieux se sont appropriés les outils de ciblage, de retargeting, de programmatique pour réaliser des campagnes de publicité par exemple”.
Selon Anne Le Gall, la problématique de l’utilisation des outils se situe à l’intersection de 2 éléments : “Une part de ces actions peuvent être internalisées mais cela pose la question des compétences qui aujourd’hui manquent dans les profils en poste, les formations initiales n’intégrant que peu ces sujets et les formations continues sur ces nouvelles pratiques étant rarement prioritaires pour les institutions – comme en témoigne notre état des lieux de 2016. L’autre solution est d’externaliser : des agences existent, certaines spécialisées dans le spectacle vivant, mais cela nécessite une redéfinition des budgets d’un plan de communication traditionnel vers un plan de communication où le numérique a une vraie place, car les investissements peuvent être conséquents. »
Les réactions soulevées par la question du marketing dans les lieux culturels, qui remontent lors d’échanges au sein du TMNlab, montrent bien que la thématique est plus que jamais au centre des préoccupations des professionnel·les. Et maintenant, comment passer du constat à l’action?
“Notre objectif avec le TMNlab était de mutualiser les retours d’expériences pour faire progresser les pratiques. Les échanges au sein de la communauté sont riches, notamment à l’occasion des rencontres, mais nos collègues repartent ensuite chez eux et sont de nouveau très isolés”, déplore Anne Le Gall. Le réseau est en réflexion autour de l’évolution de la structure. “Il y a une telle demande et un tel succès autour des rencontres que l’on organise que nous avons l’envie d’aller plus loin.” Les membres fondateurs de l’association réfléchissent à proposer un accompagnement plus poussé sur l’ensemble des questions liées au numérique et au renouvellement des pratiques – et donc aussi sur ces questions du marketing – notamment grâce à des actions de formation.