Le 12 mai 2016 à la Salle Cortot s’est tenue une table ronde « Comment gagner en efficacité au quotidien : outils, méthodes et bonnes pratiques adaptées au secteur culturel », organisée dans le cadre des Rencontres Professionnelles. L’occasion de prendre un peu de recul pour mieux résister au stress quotidien et gérer plus sereinement les urgences ! La rédaction de Coulisses, partenaire de l’événement était présente. Compte-rendu.
Etablir des priorités
Nous vivons dans un monde où nous sommes de plus en plus sollicités, nous recevons de plus en plus de mails, nous avons de plus en plus d’actions à traiter en un temps de plus en plus contraint. Les professionnels du spectacle vivant – administrateurs/trices, chargé(e)s de production / diffusion / communication – le ressentent particulièrement : il faut être à la fois présent sur des dossiers de financement, des montages de projets, des campagnes de mécénat, mais aussi sur les actions quotidiennes– relances, suivi, mise à jour site web, animation des réseaux sociaux, feuilles de route, établissements des contrats, préparation d’éléments de paie…
D’une manière plus générale d’ailleurs, si on voulait traiter toutes les sollicitations dans un monde hyper-connecté (répondre tout de suite aux mails reçus, lire tous les tweets sur ses comptes de réseaux sociaux, lire toutes les actualités), on deviendrait fou et 24h par jour n’y suffiraient évidemment pas. D’où l’importance de reprendre le contrôle sur le « flux d’action ». Ce n’est pas notre boite mail qui doit guider nos actions mais plutôt les priorités qu’on s’est fixées.
L’enjeu ne doit pas être de répondre à toutes les sollicitations et de traiter « tout », mais de déterminer ce qui est prioritaire pour vous et/ou votre activité. Et ce n’est pas forcément facile ! En effet, comme le précise Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche à l’Inserm et spécialiste de l’attention : « le cerveau va vous faire peur pour que vous fassiez tout ce que vous avez à faire ». C’est le système attentionnel qui va permettre de filtrer. Et ce système doit être « activé consciemment » pour identifier les éléments importants parmi des urgences quotidiennes à gérer.
En effet, sur le terrain, comme en témoigne Marie Toyer – expert-compable au sein du cabinet GMBA Baker Tilly – on peut se sentir « obligé(e) de répondre immédiatement à chaque mail reçu » au détriment de tâches plus prioritaires.
Thomas Petillon, fondateur d’Orfeo, le logiciel de gestion des producteurs de spectacles, interroge sur la pertinence de vouloir « vider sa boite mail à tout prix » à l’aide d’une anecdote issue du livre La semaine de 4 heures de Timothy Ferriss : « Vous travaillez tout le week-end pour traiter tous vos mails. Le dimanche à 23h59, vous avez enfin vidé votre boite de réception. Mais juste avant minuit, vous recevez 50 nouveaux mails ! Tout est à refaire…Vous avez en face de vous 50 interlocuteurs qui sont, eux aussi, devant leur ordinateur un dimanche soir pour vider leur boite mail ».
En synthèse, on ne peut pas tout faire, il faut apprendre à perdre, pratiquer consciemment l’ignorance sélective et surtout établir des priorités.
D’ailleurs, qu’est-ce qui est vraiment prioritaire ? Pour le savoir, on peut utiliser la Matrice d’Eisenhower qui permet d’aider à distinguer ce qui est urgent de ce qui est important, et aide à prioriser ce qui est « important et pas urgent » (le dossier de subvention européenne à monter pour dans 3 mois, mais qu’on n’a jamais le temps de commencer) par rapport à ce qui est « urgent et pas important ».
Mais le plus important, comme l’indique Lise Bousch, consultante chez Artemis Ressources, est surtout de « revenir au sens ». Et de citer l’exemple d’une salle de spectacle qui ne prenait même plus le temps de communiquer sa propre programmation !
Aider son cerveau à être efficace
Même si on a établi des priorités, on se retrouve souvent avec énormément de tâches à accomplir, dans un temps très court. Et ce, dans un contexte où on risque d’être souvent interrompu. Alors, comment être le plus productif possible ?
En premier lieu, il faut tenter de privilégier les plages longues sur un sujet donné. L’idéal est de rester concentré sur une tâche unique pendant un temps suffisamment long pour arriver à un « livrable » (finir un courrier, une partie d’un dossier etc…). Pour cela, on peut par exemple s’aider de la Technique Pomodoro qui préconise des plages de 25 minutes sans interruption. Outre l’intérêt en terme de productivité (moins de papillonnage), il y a un intérêt en termes de satisfaction (« on sait où est passé son temps à la fin de la journée », précise Marie Toyer).
Thomas Petillon insiste sur l’intérêt de « commencer sa journée par les gros cailloux », en référence au fait que si on remplit un aquarium avec du sable, des graviers et des gros cailloux, il faut commencer par les gros cailloux, sinon on n’arrive plus à les faire rentrer à la fin. Et donc, il est important de déterminer, chaque matin, quels sont les dossiers importants (1 ou 2, maximum 3) qu’on souhaite faire avancer.
Et pour avancer ces gros cailloux, il est important de les découper en livrables intermédiaires (des « mini-missions » qui sont plus faciles à appréhender par le cerveau, comme le précise Jean-Philippe Lachaux). Chaque mini-mission doit pouvoir être visualisée comme une action concrète et identifiable (par exemple : remplir la partie administrative de tel dossier), comme le prône David Allen dans son livre S’organiser pour réussir.
Pour travailler efficacement, il est important d’arriver à se préserver des sollicitations extérieures, au moins pendant un temps donné, même s’il est court. En pratique : couper ses mails, mettre son téléphone en mode avion, indiquer à ses collègues qu’on n’est pas disponible. Face à l’objection souvent rencontrée « c’est impossible, je ne peux pas couper mes mails, ce n’est pas compatible avec mon métier », le conseil pratique est d’y aller par étape (couper ses mails pendant 30 minutes, puis pendant 2h…pour finalement ne les consulter que 2 fois par jours) pour se rendre compte que c’est possible. Là encore, il faut lutter contre une tendance de son cerveau, car l’attention est naturellement attirée par un circuit de récompense (ex : une nouveauté sur les réseaux sociaux, un nouveau mail…), comme le précise Jean-Philippe Lachaux.
Enfin, il faut se préserver de ses propres pensées, autrement dit, ne pas être « parasité » par des idées qui ne sont pas en lien direct avec la tâche qu’on est en train de traiter. Ces idées ne sont d’ailleurs pas nécessairement mauvaises, c’est jusqu’elles sont « hors contexte ». D’où l’intérêt d’avoir un logiciel de gestion (il existe des outils gratuits comme Trello ou des logiciels plus spécifiques au secteur du spectacle vivant comme Orfeo) pour stocker en moins de 10 secondes une idée (ajouter une note dans la fiche d’un programmateur, noter qu’il faut rappeler telle personne avant telle date) avant qu’elle ne nous fasse « changer de contexte mental ».
On peut citer à ce stade la règle des 4D qui permet de déterminer dans une liste fermée l’action à mener pour « traiter » une tâche (Do it, Defer it, Delegate it or Drop it ) et l’intérêt des outils comme Inbox de Google pour l’appliquer. L’idée générale est de « fermer les boucles ouvertes » qui sont présentes en permanence dans notre esprit, afin d’éviter au maximum qu’elles ne perturbent le fil de notre attention.
Prendre du recul, écouter son corps !
On n’est pas nécessairement dans le même état de concentration à tous les moments de la journée : c’est que stipule la chronobiologie. C’est pourquoi il peut être intéressant de déterminer des plages de temps distinctes et de les affecter à des types de tâches. Par exemple, on peut être plus disponible le matin pour travailler sur un dossier complexe et privilégier la première partie d’après-midi pour passer des appels téléphoniques.
Au moment des questions, plusieurs personnes présentes dans la salle insistent sur l’importance du rapport au corps, dans une société où l’intellectuel est roi. Adeline Boiché, coordinatrice de la table ronde, insiste sur les bénéfices qu’on peut retirer d’un respect du rythme biologique naturel : prendre le temps de déjeuner, plutôt d’avaler un sandwich devant son ordinateur, préserver ses temps de sommeil…
Dans le même ordre d’idée, il ne faut pas oublier de se préserver des petits moments de calme : faire des pauses régulières, voire prendre le temps de se reconnecter avec son propre rythme intérieur via la technique de la cohérence cardiaque.
Rien de tel que de vous réserver des petits moments de calme : avez-vous par exemple déjà essayé de sortir d’un train à son terminus une minute trente (le temps moyen pour qu’un wagon se vide) après tout le monde ? Un moyen simple pour vous échapper, un petit moment, à la frénésie du quotidien !
Merci aux Rencontres Professionnelles d’avoir organisé cette passionnante table-ronde. N’hésitez pas à vous référer à l’ouvrage de Jean-Philippe Lachaux « Le cerveau funambule » aux Editions Odile Jacob pour aller plus loin.